Antinazisme et protection sociale

  par Pascal Franchet

2013-02-06 Franchet PascalLa juxtaposition des 2 termes peut sembler surprenante et pourtant, il y a bien un lien direct entre la lutte contre le nazisme et la défense de la protection sociale. En effet, la sécurité sociale n’est pas une question comptable ou technique mais est d’abord et avant tout une question politique de répartition des richesses aux conséquences sociales considérables.

 

Il suffit de regarder du coté de la Grèce pour en apprécier l’importance.
Le délitement sciemment provoqué de la société grecque induit la mise à mort de la protection sociale et des droits démocratiques. Plus d’un tiers de la population n’a aujourd’hui plus du tout de sécurité sociale et cette proportion va augmenter avec le dernier « paquet » de mesures imposées par le FMI, la BCE et la Commission Européenne, au nom de la priorité (devenue constitutionnelle depuis février 2012), donnée aux créanciers de la dette publique.
Le chiffre des 2/3 est souvent avancé.
Faute de pouvoir avoir accès aux traitements ou à des opérations chirurgicales devenues trop onéreuses, des dizaines de milliers de personnes y renoncent. Les budgets des hôpitaux sont amputés de 40% et sont souvent dépourvus du matériel élémentaire (gants, compresses, etc.) . On dénombre aujourd’hui une vingtaine de décès directement imputables à cette ségrégation par l’argent.

Les femmes qui souhaitent accoucher à l’hôpital doivent payer un droit d’entrée et beaucoup sont contraintes d’accoucher chez elles, avec les risques de complications, d’infections ou/et de mortalités infantiles que cela implique. 60% des accouchements se pratiquent sous césarienne et là le coût est dissuasif, même pour celles qui conservent encore des bribes de protection sociale. Ceci sans parler des dessous de table restés monnaie courante… Les représentants de l’association Médecins sans frontière » le rapportent : le dilemme posé pour les patients qu’ils reçoivent est souvent de choisir entre médicaments et nourriture…
Ce recul fantastique de l’accès aux soins et à la santé, couplé avec la démolition du Code du Travail et des conventions collectives, provoque une rupture sociale, brèche dans laquelle s’engouffre le mouvement nazi « aube dorée » face à l’incurie de l’union sacrée PASOK-Nouvelle Démocratie, incurie bien utile au capital pour disloquer encore davantage la société grecque.

Les discours et campagne de cette organisation militaro-politique (la 3ème du pays pour les intentions de vote selon les sondages derrière la Nouvelle Démocratie et Syriza) sont reçus positivement par de plus en plus de grecs désemparés par la misère et l’incapacité de l’État à subvenir à leurs besoins fondamentaux. Les actions comme la collecte de sang « des grecs pour les grecs , pas pour les étrangers ! » , les thèmes xénophobes d’exclusion des enfants d’immigrés des écoles, rencontrent un écho grandissant face à un système scolaire en totale déliquescence.
La position d’allégeance au FMI prises par le dirigeant de Syriza, Alexis Tsipras, fin janvier 2013 à Washington risque fort d’accroître le désarroi de la partie de la population qui lui a fait jusque là confiance pour opérer le changement radical nécessaire dans ce pays.

Décidément, la comparaison avec la chute de la République de Weimar devient de plus en plus pertinente. La république grecque est en effet dans une situation comparable à celle de la république de Weimar à la fin des années 19201. Son échec, la trahison de ses dirigeants et la crise financière de 1929 ont favorisé la montée du nazisme en Allemagne.
Il est acté aujourd’hui que la finance et l’industrie étatsunienne a soutenu, encouragé et financé le NSDAP (le parti d’Adolf Hitler) . Aujourd’hui, c’est Goldman Sachs qui est au ban des accusés de la faillite provoquée de la société grecque.
Comparer ainsi 2 moments de l’histoire politique et sociale est certes toujours hasardeux. Le contexte global a changé avec la mondialisation de l’économie, la fin du 2ème monde et la fin du colonialisme. De même, la crise économique de 2008 présente davantage de similitude avec celle de 1873 qu’avec celle de 1929 et du début des années 1930.
Ces différences réelles ne changent pas les données du problème auquel nous sommes confrontés. Chacun reconnait que la Grèce sert de laboratoire expérimental aux réponses que le capital, via la Troïka, veut imposer à l’ensemble des pays européens. Ce « modèle » a vocation a être exporté.

On doit bien mesurer que les mêmes ingrédients se réunissent aujourd’hui et concourent à la généralisation de la barbarie : récession économique, chômage de masse, destruction des garanties sociales, …
Plus éloigné encore des caractéristiques économiques et politiques des pays du cœur de l’Union Européenne, le Chili. A partir de 1973, ce pays a servi de test grandeur nature pour le néolibéralisme qui s’est généralisé dans tous les pays du Nord à peine 10 plus tard. Privatisation de tout le secteur public de la santé et des régimes de protection sociale sont allés de pair avec la suppression des droits démocratiques de la population.
Chili, Grèce : 2 stratégies du choc, pour reprendre l’expression de Naomi Klein, pour 2 expérimentations généralisables. La 1ère a réussi, la 2ème est en marche...

Dans les pays du Sud , les plans d’ajustement structurels du FMI du début des années 1980 contiennent systématiquement une baisse drastique des transferts sociaux.
Comparaison n’est pas raison, dit le dicton, mais fermer les yeux devant l’évidence devient criminel au regard des enjeux de civilisation.
Développer et rendre concrète la solidarité internationale dès aujourd’hui, expliquer et combattre le danger européen que constitue la montée du nazisme en Grèce, doivent devenir des priorités pour l’ensemble du mouvement social européen.

Un élément de la riposte se situe dans la nécessaire et vitale construction d’un mouvement antifasciste européen de masse.2
Marx disait que la bourgeoisie préférait une fin effroyable à un effroi sans fin. On en approche !