Au Maroc, les militants du Rif écopent d’une vie en prison
PAR RACHIDA EL AZZOUZI (Mediapart)
Les peines prononcées à l'encontre des militants du hirak du Rif, ce mouvement social marocain d’une ampleur inédite en 18 ans de règne de Mohammed VI, sont très lourdes. Ils s’étaient levés contre l’injustice d’un système qui les écrase et marginalise leur région, la privant d’écoles, d’hôpitaux, de routes, d’usines..., au soir de la mort d’un jeune qui aurait pu être eux : Mohcine Fikri, 31 ans, vendeur de poissons broyé par une benne à ordures alors qu’il tentait de sauver 500 kilos d’espadon pêchés illégalement que lui avaient saisis les gendarmes. Et ils sont en train de le payer très cher.
Une vie en grande partie derrière les barreaux des pires prisons du pays : voici la sanction réservée aux principaux acteurs du hirak du Rif par la justice marocaine, au terme d’un procès fleuve de neuf mois devant la chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca. Ce mouvement social, né à l’automne 2016 à Al Hoceïma (nord du Maroc), a secoué pendant des mois la région avant d’être étouffé sous l’effet de la répression et des arrestations massives.
Le verdict du plus médiatisé des procès du hirak, de la bande dite des meneurs mais aussi de plusieurs journalistes locaux qui couvraient le mouvement, est tombé dans la nuit du mardi 26 au mercredi 27 juin. Et même si les détenus, les familles, les avocats et les ONG s’étaient préparés au pire, celui-ci a été un choc d’une grande violence et a été accueilli dans les cris, les larmes, les évanouissements.
Trois autres accusés, Mohamed El Haki, Zakaria Adehchour et Mahmoud Bouhenoud, ont été condamnés à quinze ans de prison, également pour « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État », sept autres à dix ans dont le syndicaliste Mohamed Jelloul. Les autres peines prononcées vont d’un à cinq ans de prison pour des délits mineurs allant de « participation à une manifestation non autorisée » ou « outrage aux forces de l’ordre ». Dix accusés ont ainsi écopé de cinq ans de prison, huit de trois ans, dix-neuf de deux ans et deux d’un an.
Six journalistes - Mohamed Asrihi, directeur de Rif 24, Rabie El Ablak, Abdelali Houd, Houssein El Idrissi, Foued Essaidi et Jawad El Sabiry - sont condamnés à des peines allant jusqu'à cinq ans de prison.Le sort de leur confrère Hamid El Mahdaoui, poursuivi pour « non-dénonciation d’une tentative de nuire à la sécurité intérieure de l’État », sera tranché séparément jeudi 28 juin. Il risque deux à cinq ans de prison ferme dans un Maroc classé 135e sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse.
« 360 ans de prison si on additionne les peines pour avoir manifesté et réclamé une vie meilleure, justice et dignité ! Ce verdict est une honte pour le Maroc, c’est une justice d’abattage », assène Mohamed Aghnaj, l’un des avocats de la centaine de professionnels mobilisée à travers le pays pour les défendre. Il espérait « un retour vers la raison, un revirement, même une amnistie royale mais pas ce scénario, le pire ». « Nous allons faire appel mais sans grande conviction : la justice ici est partiale, à la solde du pouvoir », note une autre avocate.
À ces « 360 ans » de prison, il faut ajouter toutes les peines déjà prononcées depuis des mois dans des tribunaux à travers le pays. Plus de 300 personnes, dont de nombreux mineurs, seraient derrière les barreaux, dans l’attente de leur jugement, ou déjà condamnées. « C'est une boucherie judiciaire pour faire peur à tout le monde. Elle a lieu dans un silence international assourdissant. Les pays européens n'ont que deux préoccupations : la lutte contre le terrorisme et l'immigration. Des sit-in de protestation sont prévus à travers le pays mais nous devrions tous être dans la rue et provoquer un raz-de-marée pour faire peur au régime », réagit la militante des droits humains Khadija Ryadi.
« Qui va prendre le Maroc au sérieux à l’international quand on ira leur raconter la légende des “avancées indéniables en matière des droits de l’homme” ? Des décennies de travail de beaucoup de gens parties en fumée en un soir », abonde sur Twitter le journaliste Abdellah Tourabi. Le sentiment de bien des Marocains sonnés par ce verdict, qui voient là un retour des années de plomb dans un pays en proie à de multiples colères sociales et qui bénéficie d’une image de carte postale très éloignée de la réalité.