“Avant la nuit”: plus qu’un polar, une descente à l’enfer des préparatifs du génocide rwandais
par Yorgos Mitralias
Le livre de Maria Malagardis « Avant la nuit »* est beaucoup plus qu’un polar ou un roman, beaucoup plus qu’un simple retour en arrière au génocide des Tutsis au Rwanda. Il est tout ça mais plus que ça parce qu’il marie le suspense du polar au travail d’historien, l’émotion à la réflexion. Et en plus, il tombe à point nommé pour éclairer le « phénomène » génocidaire en faisant imperceptiblement le pont avec ce qui est en train de se passer actuellement à Gaza, en direct sur nos écrans cette fois…
La réussite de l’entreprise de Mme Malagardis tient en grande partie à son originalité : centrer le récit non pas au massacre lui-même mais à sa préparation. Presque automatiquement, un tel choix élimine toutes les approches « métaphysiques » du génocide rwandais, celles qui attribuent d’habitude ce « désastre humanitaire » soit au sous-développement (moral?) de l’Afrique noire, soit aux éternels « instincts primitifs » des humains. En effet, s’il a eu préparation du génocide, alors il a nécessairement des... « préparateurs » en chair et en os, avec nom et adresse. Et aussi avec des motivations et des plans précis qu’il s’agit de chercher et de dévoiler aux yeux de tout le monde.
Voilà donc ce que fait dans son livre Maria Malagardis en bon détective du passé : elle épluche et décortique le génocide en autopsiant ses préparatifs qui obéissent à des plans élaborés avec l’assentiment, sinon avec la complicité et sous la supervision des centres de pouvoir qui se situent à des milliers de kilomètres de Rwanda, à la France du président Mitterrand !
Évidemment, une telle approche et un tel travail ne sont pas à la portée de tout le monde. Il requiert une connaissance approfondie et surtout, de première main des dessous du génocide ainsi qu’une capacité analytique et un esprit de synthèse qui sont plutôt rares dans le monde journalistique par les temps qui courent. Maria Malagardis peut se targuer de réunir toutes ses qualités, parce qu’elle couvre depuis 35 ans, pour des médias importants de France et d’Angleterre, la majeure partie du continent africain, et aussi parce qu’elle a été un témoin oculaire et actif des hécatombes du génocide rwandais et des événements qui l’ont suivi pratiquement jusqu’à aujourd’hui.
Cependant, toutes ces préconditions pour la réussite d‘un tel livre seraient à la fin inopérantes si elles n’étaient pas couronnées par une rarissime qualité : celle d’avoir le courage d’appeler les choses -et les assassins-par leur nom. Et cela parce que le génocide Rwandais qui n’est pas du passé, représente -toujours- un véritable champ de mines prêtes à exploser à tout moment, semant souvent la panique aux états majors des pouvoirs néocoloniaux de ce monde dit « civilisé ». Alors, connaissant le manque absolu de scrupules des protagonistes souvent haut-placés (africains mais aussi européens) du génocide, ça demande bien du courage pour révéler publiquement, preuves accablantes à l’appui, que la France mitterrandienne ne s’est pas contentée d’armer, d’évacuer et de protéger les génocidaires, mais qu’elle a surtout supervisé activement la préparation du crime monstrueux.
Et manifestement, Maria Malagardis a ce courage. Un courage qui manque cruellement à la plupart de ses collègues qui s’arrangent, il y trente ans comme aujourd’hui, à brouiller opportunément les pistes qui mènent aux assassins haut-placés, quitte à raconter des balivernes qui font rire. Comme par exemple, mon collègue K.G., un journaliste respecté, cultivé et très courtois, présentateur à l’époque du journal télévisé de la première chaîne publique grecque (ERT) qui avait conclu la nouvelle concernant le génocide rwandais en improvisant, comme il en avait l’habitude, la phrase suivante en guise de leçon à retenir: “en somme, les petits ont tué les grands”…
Évidemment, le livre a Maria Malagardis se situe à des années-lumière de ce genre de journalisme. Sans rien perdre de sa rigueur historique, il se lit comme un polar tenant son lecteur en haleine du début à la fin. Mais surtout, il le fait réfléchir tout en l’émouvant profondément car les génocides sont faits des myriades d’histoires des gens en chair et en os qu’il faut raconter sans peur de verser dans l’émotion. “Avant la nuit” pourrait bien être appelé “avant l’apocalypse”. En ce début de l’été 2024, qui oserait prétendre que les génocides et les génocidaires c’est seulement du passé?...
* “Avant la nuit” de Maria Malagardis, Talent Editions, 285 pages.