Crise climatique : retour sur Doha

 

2013-01-15_01_TanuroCet article n’a pas pour but d’analyser politiquement le sommet climatique qui s’est tenu à Doha, au Qatar, début décembre.

Cette analyse a été faite dès les premiers jours de la Conférence et elle s’est révélée juste[1]. Il s’agit seulement de faire le point sur les « résultats » de la rencontre, afin que chacun-e comprenne bien où on en est dans la marche à la catastrophe.

Un mini-Kyoto II

Le premier enjeu de Doha portait sur la poursuite du Protocole de Kyoto. Pour rappel : cette question est au centre du bras de fer entre les pays capitalistes « développés » et les autres. En effet, les premiers arguent des émissions croissantes des seconds pour exiger un accord global, imposant des efforts à tous ; quant aux seconds, ils arguent de la responsabilité historique des premiers pour exiger que ceux-ci montrent sérieusement l’exemple dans la lutte contre le réchauffement.

Doha a effectivement décidé une deuxième période d’engagement dans le cadre du Protocole. Mais celui-ci n’est plus que l’ombre de lui-même. Le Japon, le Canada, la Nouvelle Zélande et la Fédération de Russie ne sont plus parties prenantes. Ces pays rejoignent ainsi les Etats-Unis, second émetteur mondial (après la Chine) et premier émetteur historique. Du coup, les nations qui restent dans le jeu ne représentent plus que 15% des émissions mondiales, environ.

Les engagements souscrits sont loin au-dessous des nécessités. Selon le GIEC, pour avoir une chance sur deux de ne pas dépasser 2,4°C de hausse, les pays développés devraient réduire leurs émissions de 25 à 40% d’ici 2020 (et de 80 à 95% d’ici 2050), par rapport à 1990. Or, les engagements pris par les rescapés de Kyoto équivalent au mieux à 18% de réduction. L’Union Européenne se présente comme le bon élève de la classe, avec un objectif de 20% à cette échéance. Or, du fait de la récession, elle était déjà -17,6% en 2011. Si on tient compte en plus des crédits d’émission provenant des mécanismes flexibles (CDM et MOC), l’UE est même au-delà de son objectif… depuis deux ans (-20,7%). Il est vrai que les pays concernés ont accepté d’envisager un effort supplémentaire, mais ce n’est qu’une vague promesse.

 

« L’air chaud russe »

Une question clé dans le cadre de cette prolongation de Kyoto était celle de « l’air chaud russe ». Par cette expression, on désigne le fait que les pays de l’ex-URSS se sont vu attribuer des quotas d’émission qu’ils n’ont pas utilisés. La raison en est que 1990 a été choisie comme année de référence et que, après la chute du Mur, l’économie de ces pays s’est effondrée. Ils ont donc d’énormes surplus de droits d’émission échangeables sur le marché du carbone. Comme tout n’a pas été vendu – loin de là- entre 2008 et 2012, la question se posait : les 13 milliards de droits restants (un droit = une tonne de CO2) seraient-ils transférables sur la deuxième période d’engagement ?

La conférence de Doha a répondu positivement… Avec quelques restrictions : les droits (unités d’émission) ne pourront être achetés que par des pays qui auront dépassé leur quota, et seulement à concurrence de 2% de leur objectif de réduction au cours de la première période. De plus, plusieurs gouvernements ont fait savoir qu’ils ne seraient pas acquéreurs... Logique : les objectifs de Kyoto II sont tellement minables qu’aucun pays n’aura besoin d’acheter de « l’air chaud russe ». Ce qui est important, ici, c’est que les droits de propriété de la Russie, de l’Ukraine, du Bélarus et du Kazakhstan ont été sauvegardés. Ces pays gardent donc la possibilité de vendre ces droits sur le marché et ils feront tout pour les conserver au-delà de 2020.

 

Crédits MDP

La deuxième période du Protocole ne concernant qu’une petite partie des pays développés, la question suivante s’est posée : les pays non soumis à engagement auraient-ils le droit d’acquérir et de vendre les crédits d’émission générés par le « Mécanisme de Développement Propre » (MDP) ? Pour rappel, le MDP est ce système, prévu par Kyoto, qui permet de compenser des émissions dans les pays industrialisés en achetant des crédits de carbone générés par des investissements « propres » dans le Sud. Les USA, le Canada, le Japon, etc. veulent garder la possibilité d’acquérir ces crédits (le Japon est le plus grand acheteur après l’Union Européenne), parce que le marché du carbone est relativement juteux. Leurs représentants ont argué que l’insuffisance de la demande de crédits a déjà fait plonger le prix de ceux-ci au-dessous d’un Euro, ce qui ne favorise pas la transition énergétique. La Conférence a rejeté la demande… Mais la messe n’est pas dite car la jurisprudence au niveau de l’instance de gestion du MDP donne plutôt raison aux requérants.

 

Adaptation et dette climatique

Un deuxième enjeu important de Doha était le financement de l’adaptation au réchauffement dans les pays du Sud. A Copenhague, les pays développés s’étaient engagés à verser des sommes croissantes afin d’atteindre un objectif annuel de 100 milliards par an à partir de 2020. Cette décision a été confirmée l’année suivante à Cancun. Les médias y ont donné un écho considérable : responsables à plus de 70% du réchauffement, les pays capitaliste développés semblaient ainsi honorer leur « dette climatique ». Cependant, hors caméra, les choses se passent nettement moins bien. A Doha, hormis quelques pays européens, la plupart des Etats ont refusé de préciser le montant de leur engagement au cours des prochaines années. Les pays les moins développés ont dû se contenter d’une promesse vague de versements au moins aussi importants qu’au cours des années précédentes (environ 10 milliards de dollars par an)…

 

Accord global ?

Un troisième enjeu, enfin, était de baliser la négociation d’un futur accord global qui, adopté en 2015, devrait entrer en application à partir de 2020. La Conférence de Bali (2009) avait décidé d’agir conformément aux projections du GIEC ; celle de Cancun avait adopté l’objectif d’une hausse de température limitée à 2°C, voire même 1,5°C ; et celle de Durban avait enchaîné en mettant sur pied un nouveau groupe de travail ad hoc en vue d’une action plus importante contre le réchauffement (ADP). Pour rappel : selon le GIEC, ne pas trop dépasser 2°C de hausse implique de réduire les émissions de 50 à 85% mondialement d’ici 2050, de les réduire de 80 à 95% dans les pays développés, et de commencer cette réduction au plus tard en 2015.

Plusieurs pays en développement, notamment les petits Etats insulaires (AOSIS) demandent depuis des années que ces chiffres soient ratifiés par les sommets des Nations Unies et transformés en objectifs. En vain, et Doha n’a pas dérogé à cette tradition : la Conférence a seulement décidé de « travailler d’urgence !) en vue de la nécessaire réduction profonde (?) des émissions et d’atteindre un pic dans les émissions globales aussi vite que possible ». La question en jeu ici est clairement de savoir si la politique climatique doit ou non être déterminée à partir de l’expertise scientifique sur le climat. L’AOSIS a fait des propositions précises dans ce sens lors de la COP 17, mais celles-ci ont été repoussées, au nom des « contraintes « économiques »…

 

Responsabilités différenciées

La négociation d’un accord global, applicable à tous les pays, soulève un autre point délicat : dans quelle mesure respectera-t-on le principe des « responsabilités communes mais différenciées » ? Ce principe très important est inscrit dans la Convention cadre des Nations unies sur les Changements climatiques (UNFCCC). Les Etats-Unis et leurs alliés (Canada et Australie notamment) manœuvrent depuis des années afin qu’il ne soit plus pris en compte. A Durban, ils s’étaient déjà opposés avec succès à ce que les textes adoptés y fassent référence explicitement. Le même scénario s’est répété à Doha. Les Etats-Unis sont même parvenus à retirer la référence aux conclusions de Rio+20, pour la simple raison que les principes d’équité et de responsabilité différenciée y sont mentionnés…

Cette question constitue vraiment la pierre de touche des négociations. Face aux Etats-Unis et à leurs partisans, le principe des responsabilités communes mais différenciées est défendu par une alliance hétéroclite regroupant la Chine, l’Inde, la Bolivie, Cuba, le Venezuela et plusieurs pays arabes producteurs de pétrole. Entre ces deux camps, on voit mal comment un compromis est possible… Sauf si ? Sauf si l’expertise scientifique ne sert plus de cadre à la négociation et que chaque pays communique simplement aux autres les mesures qu’il compte prendre pour contribuer au sauvetage du climat. Cette démarche « bottom-up » est celle que les Etats-Unis, la Chine, les autres grands pays émergents et l’UE ont imposée à Copenhague, après l’avoir négociée en parallèle de la Conférence. Sur cette base, oui, un accord est envisageable… mais un accord qui ne permettra pas de rester au-dessous de 2°C de hausse.

 

Pessimisme de rigueur

Suite à Copenhague, plus de 80 gouvernements ont communiqué des « plans climat ». Leur analyse permet de projeter une hausse de température oscillant autour de 3,5 à 4°C d’ici la fin du siècle. Ces projections sont à prendre avec des pincettes, car les principaux émetteurs de gaz à effet de serre s’ingénient à brouiller les pistes. Primo, les mesures qu’ils communiquent manquent souvent de clarté et couvrent une gamme très large de domaines. Secundo, les efforts de réduction des différents pays sont difficiles à mesurer et à comparer. Le plan d’action de Bali prévoyait d’harmoniser la comptabilisation et le rapportage des émissions. On en est loin, notamment parce que les USA –encore eux !- refusent d’harmoniser les règles différentes inclues dans la Convention cadre des Nations Unies et dans le Protocole de Kyoto. De son côté, la Chine sous-estime probablement ses émissions à hauteur de 1,3 Gt de CO2 [2].

Dans un article écrit peu de temps avant Doha, Walden Bello et Richard Heydarian voulaient croire que les deux principaux émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre seraient contraints de parvenir dans les années qui viennent à un accord climatique bilatéral, impliquant des réductions d’émission obligatoires pour les deux parties, accord qui servirait ensuite de pivot à un engagement de toutes les nations [3]. Cette analyse nous paraît beaucoup trop optimiste. Elle fait peu de cas des énormes intérêts matériels en jeu. Et mise sur le fait que les décideurs prendront rationnellement les mesures indispensables pour éviter une énorme catastrophe humaine. Rien dans l’histoire du capitalisme ne permet de justifier cet espoir.

 
Notes