Elections municipales : défaite pour le PS, surplace de l’UMP, enracinement pour le FN
Le premier tour des élections municipales a rendu son verdict et il est national. Le Parti socialiste et donc le gouvernement et le président de la République subissent la sanction qu’ils espéraient éviter. L’UMP ne capitalise pas franchement sur cet échec. Mais le Front national en fait son miel. Au-delà de la victoire de Steeve Briois dès le premier tour et de ses bons résultats dans plusieurs autres villes, le FN a déjà fait élire 456 représentants dans les conseils municipaux…
Les élections municipales n’ont pas dérogé à une règle vérifiée six fois depuis trente-cinq ans : 1977, grosse défaite de la droite,1983, fort recul de la gauche, 1995, percée du Front national, 2001, reflux socialiste, 2008, échec de la droite, 2014, enfin, claque en vue pour le Parti socialiste. Quoi que disent et répètent les sondages, les électeurs ne se déterminent donc pas uniquement en fonction des salles polyvalentes et des impôts locaux, mais sanctionnent plus ou moins sévèrement le pouvoir en place.
À ce titre, le résultat du premier tour, s’il devait se confirmer dimanche prochain, pourrait rester dans l’histoire comme une fracture à deux niveaux. Premièrement, le Front national s’est ancré dans le tissu local. Deuxièmement, le PS est affaibli partout, quand il ne s’effondre pas. La France des notables roses, bien implantés dans leurs bastions, a été emportée, ou se retrouve affaiblie, contrairement à ce que leur laissaient espérer des batteries de sondages locaux.
Ce qui frappe dans la percée du Front national, au-delà des résultats spectaculaires et symboliques d’Hénin-Beaumont ou Béziers, c’est sa capacité à démultiplier le résultat de Marine Le Pen aux élections présidentielles de 2012. Dix points de mieux à Avignon, où le candidat d’extrême droite est en tête, neuf points de plus à Forbach où Florian Philippot réalise le meilleur score, deux points de mieux à Limoges, même phénomène à Laval, à Mulhouse, à Saint-Étienne, à Dijon où le FN peut se maintenir au second tour avec presque 13 % des exprimés, soit 5 points de mieux que le record municipal de 1995.
L’analyse des résultats, ville par ville, prouve que le parti de Marine Le Pen a mordu sur sa droite, en affaiblissant de nombreux candidats UMP, mais pas seulement. Dans bien des municipalités, Strasbourg ou Nancy par exemple, la droite se maintient sans briller, mais le PS perd jusqu’à 10 points, et les amis de Marine Le Pen en récupèrent presque autant. Est-ce le signe d’un transfert entre certains sortants PS et le Front national, il est périlleux de l’affirmer à chaud, mais la question se pose et devra être élucidée.
Donc une montée en puissance indiscutable de la droite de la droite, et un reflux général des candidats socialistes, même les mieux implantés. Certes Gérard Collomb ne paraît pas menacé à Lyon, mais son élection sera moins facile que prévu. À Paris, Anne Hidalgo, même devancée en voix, semble en mesure de succéder à Bertrand Delanoë, mais le résultat sera serré. À Toulouse, Pierre Cohen peut encore espérer garder son siège de maire, mais les profondes divisions de la gauche ont éparpillé les voix, et le placent à sept points derrière son rival UMP. À Lille, Martine Aubry dont la réélection était censée aller d’elle-même perd onze points par rapport à 2008, où le Front national en gagne autant, tandis que la droite classique fait du surplace.
À Amiens, en perdant plus de six points en cinq ans le PS pourrait perdre la ville. À Laval, où Guillaume Garot, le ministre délégué à l’agroalimentaire, était passé au premier tour, son successeur laisse quinze points sur le carreau. À Quimper, le conseiller de François Hollande, Bernard Poignant, baisse de huit points et se retrouve en position inconfortable. À Rennes, que le PS peut espérer conserver, Nathalie Appéré perd onze points par rapport au score de Daniel Delaveau.
Le PS pourra mettre en avant la bonne tenue d’Adeline Hazan à Reims, ou le possible gain d’Avignon où l’ancienne députée Cécile Helle, même arrivée derrière le candidat Front national, paraît disposer des réserves nécessaires, mais dimanche prochain ces îlots de résistance risquent de paraître ternes quand la victoire de Jean-Claude Gaudin à Marseille sera confirmée. Car au-delà de la saignée générale, dans toutes les villes de France ou presque, le score très bas de Patrick Mennucci, devancé au premier tour par le Front national, restera comme le résultat le plus symptomatique et le plus éclatant du double événement du jour : la puissance du FN, et la faiblesse du PS.
On peut donc parler d’échec notable du Parti socialiste, mais on doit se garder de généraliser ce jugement pour toute la gauche. Avec des résultats quelquefois en dents de scie, les alliés d’Europe Écologie, et les concurrents du Front de gauche, quand il s’est présenté en son nom, ont plutôt sauvé les meubles, et même créé l’événement, comme à Grenoble, où la liste d’Europe Écologie associée au Parti de gauche devance de quatre points la liste socialiste associée aux communistes.
Face à de tels résultats, que le président de la République devra bien analyser, et inscrire à son débit personnel, la droite classique aurait tort de pavoiser. Jean-François Copé pourra toujours mettre en avant sa réélection au premier tour, ou le score de Jean-Claude Gaudin dans la deuxième ville de France, et se féliciter pudiquement de la victoire de François Bayrou à Pau, les résultats de l’UMP sont médiocres compte tenu du recul du PS. Il n’y a pas eu de vase communicant, comme d’ordinaire, entre un parti majoritaire durement sanctionné, et le principal parti d’opposition : recul à Angers, addition fragile à Metz entre les deux listes de droite de 2008, surplace à Quimper, stagnation à Nîmes où la gauche vole pourtant en éclats, recul spectaculaire à Perpignan, ou à Béziers… Le score plutôt brillant, et supérieur aux attentes de Maryse Joissains à Aix-en-Provence ne suffira pas à embellir ces résultats en demi-teintes, d’autant que la multiplication des triangulaires risque d’atténuer au second tour l’affaissement des socialistes.
Car la consigne de non-désistement en direction du FN, et de refus du Front républicain en faveur des socialistes, sera difficile à appliquer. Le PS est prêt à demander l’appui de l’UMP à Avignon en échange d’un appel à voter UMP à Béziers… Partout des marchandages vont s’engager, et il serait étonnant que les cloisons vertueuses proclamées à Paris ne deviennent pas « un peu » poreuses en s’approchant du terrain.
Le résultat de ce premier tour est sans doute le plus mauvais pour le PS depuis 1983. Cette année-là, une mobilisation inattendue au second tour avait permis de limiter les dégâts. Compte tenu de l’impopularité record du couple exécutif, il semble peu probable que le cru 2014 conduise à la même inversion de tendance.
Il faudrait pour cela que les électeurs de gauche reviennent massivement aux urnes. L’abstention redoutée par le PS a produit ses effets. Au niveau national, comme nous le disons par ailleurs, on a encore moins voté qu’en 2008, où des records avaient déjà été battus. Mais hier, comme par hasard, on s’est moins abstenu à Hénin-Beaumont ou Béziers que dans le reste de la France, et à Limoges l’effondrement socialiste s’explique d’abord par ce phénomène incontournable : un grand nombre d’électeurs, notamment les jeunes, n’y croient plus ou sont désabusés.
Cette défaite socialiste aux élections locales, même si Paris, Toulouse, ou Strasbourg peut-être devaient rester à gauche, créera forcément une onde de choc sur un pouvoir central déjà fragilisé. Cette abondance d’échecs locaux, qui se transformera peut-être en cascade quand on analysera le résultat des plus petites villes, désigne en fait un responsable. Il n’est pas maire et ne perdra pas son siège puisqu’il est président de la République, mais il devra bien en tirer les conclusions les plus urgentes, s’il veut éviter d’être emporté par la vague, comme son prédécesseur…
Hubert Huertas
Publié sur le site Mediapart le 24 mars 2014 :
http://www.mediapart.fr/journal/france/240314/defaite-majeure-pour-le-ps-enracinement-pour-le-fn.
Recul du PS, surplace de l’UMP : la preuve par les chiffres
Sauf si le second tour inversait ou nuançait le premier, ce qui n’est pas le plus probable, les municipales de 2014 seront celles d’une double fracture. Le Parti socialiste est en retrait à peu près partout, mais l’opposition classique n’avance que très partiellement, quand elle ne recule pas. Mediapart a analysé soixante-dix villes de toutes tailles.
La multitude des cas particuliers et des villes emblématiques empêche souvent de dégager les grandes tendances du premier tour, lors des élections municipales. Paris et Lyon avaient caché la forêt des échecs du PS en 2001, et cette année la victoire au premier tour de Steeve Briois à Hénin-Beaumont, de même que les scores du FN à Béziers ou Forbach, ont créé la sensation mais ne disent pas tout de cette élection locale de portée nationale.
Derrière l’événement majeur que constitue l’enracinement des candidats de Marine Le Pen, souvent inconnus quelques semaines avant le scrutin, d’autres fractures sautent aux yeux à l’analyse. Elles concernent l’ampleur du reflux des sortants socialistes, et la performance moyenne, ou médiocre, de l’UMP (Union pour une Mouvement Populaire) et de l’opposition parlementaire en général.
Nous avons analysé les glissements de voix de 2008 à 2014 dans environ soixante-dix villes de France, petites, moyennes ou grandes, réparties sur l’ensemble du territoire. Le recul du PS y est impressionnant, et n’est pas compensé à gauche par les performances des écologistes, du Parti de gauche ou du Front de gauche, qui résistent assez bien à ce qui ressemble à une vague brune, mais de manière ponctuelle et localisée, sans inverser la tendance au niveau national.
Le PS : entre recul et déroute
Mises bout à bout, dans les villes de notre échantillon, les pertes du PS donnent un certain vertige. Saint-Étienne : – 2 points ; Valence : -2 ; Reims : – 3,8 ; Annemasse : -6,3 ; Quimper : -8 ; Perpignan : -8,5 ; Colombes : -8,9 ; Aix-en-Provence : -9,4 ; Auxerre : -9,6…
Les affaissements supérieurs à dix points sont encore plus préoccupants pour la rue de Solférino [siège du PS à Paris] :
Rodez : -10 ; Rennes : -11 ; Lille : -11 ; Dijon : -12 ; Strasbourg : -12 ; Mont-de-Marsan : -12 ; Clamart : -14 ; Chambéry : -14 ; Laval : -15 ; Angers : -15,5 ; Brignoles : -16 ; Caen : -17 ; Grenoble : -17 ; Tours -19…
Ce ne sont là que des exemples et ces pourcentages en baisse ne sont pas les plus marqués. Les plus spectaculaires concernent Liévin (-20), Nantes (-21, un chiffre à nuancer avec le bon score des écologistes qui dépassent les 14 %, et l’éparpillement des listes à gauche), Aulnay (-21), Orléans (-21), Limoges (-26), Roubaix (-27)…
Le surplace de la droite parlementaire
La logique voudrait que les pertes socialistes se soient transformées en gain pour le principal parti d’opposition. C’est loin d’être le cas dans ce premier tour des élections municipales, et l’enthousiasme du président de l’UMP Jean-François Copé, dimanche soir, tenait plutôt de la méthode Coué que de la magie Copé.
Qu’on en juge avec ces comparatifs de 2008 à 2014, dans les mêmes villes que plus haut, en soulignant que les résultats de 2008 avaient été mauvais pour la droite parlementaire. On est donc parti du sous-sol pour ne pas aller très haut, voire pour descendre encore plus bas.
Dans les communes de notre échantillon, la droite classique, UMP le plus souvent, a gagné 11,6 points à Auxerre ; 2,6 à Nancy ; 13 à Nanterre ;10 à Chambéry ; 14 à Rodez ; 19 à Clamart ; 10 à Rennes…
Mais dans la plupart de ces villes, il n’y avait pas de liste FN, et ceci explique cela. Ailleurs, plus le FN est fort, et plus l’UMP, ainsi que l’ensemble de la droite, piétine ou comptabilise des pertes.
À Roubaix, où le PS perd 27 points, l’UMP ne gagne qu’un peu plus de deux points, alors que le Front national en conquiert plus de 10. À Orléans 4,2 points (FN à 10) ; à Tours 0,4 (FN à 13) ; à Mulhouse 1,8 (FN à 21) ; à Clermont-Ferrand à peine 2 points de mieux (FN à 12,3) ; à Limoges où le PS perd le quart de son pourcentage l’UMP n’augmente le sien que de 3 points. À Lille, en dépit du reflux important de Martine Aubry, l’UMP ne dépasse pas son (mauvais) score de 2008 avec une « poussée » de 1,2 point ; à Quimper aucune augmentation ; à Aix-en-Provence la maire sortante Maryse Joissains avait le sentiment d’avoir renversé des montagnes après avoir gagné un peu plus de 3 points entre deux élections…
Et encore s’agit-il au moins de gains, certes faibles, mais de gains quand même. Que dire des pertes, qui sont les plus nombreuses : Montpellier : -3,4 (+8,6 pour le FN) ; Strasbourg : -1 (+10,9 pour le FN) ; Toulouse : -4,6 (FN +8) ; Nantes : -5 (FN +8) ; Dijon : -8 (FN +12) ; Bourges : -5 (FN +13) ; Perpignan : -9,3 (FN +21) ; Grenoble : -7,2 (FN +12) Brignoles : -19 (FN +37,5) ; Fréjus : droites à -26,3 (FN, +27,5) ; Carpentras : -17 (FN +12,5) ; Hayange : -20 (FN +30) ; Aubagne : -11 (FN +12)…
Il apparaît clairement que le score de la droite parlementaire est étroitement corrélé à celui du Front national dans les presque six cents villes où celui-ci a pu présenter des listes.
La leçon de ces chiffres est double.
Elle s’adresse à la gauche qui pourrait essuyer le revers le plus lourd de son histoire en matière d’élections locales, depuis plus de quarante ans. Cette gauche a un chef, qui siège à l’Élysée, et c’est à lui d’enregistrer le message, et d’y répondre au plus vite.
Mais les chiffres accablent tout autant l’état-major de la droite parlementaire. Ils démontrent à quel point la droitisation inspirée par le célèbre Patrick Buisson, et mise en place par le non moins fameux Nicolas Sarkozy (suivi par Jean-François Copé), a obtenu le contraire de ce qu’elle escomptait. Non seulement les électeurs ont rejeté l’ancien président en 2012, mais ils ont ressuscité le Front national dans la foulée, une extrême droite quasiment rayée de la carte en 2007 et 2008, et réimplantée six ans plus tard dans les conseils municipaux.
Tout le monde sait, depuis des lustres, que les Français préfèrent l’original à la copie, mais l’UMP court toujours. Au vu du premier tour, elle n’est pas près de le rattraper.
Hubert Huertas
* Article publié sur le site Mediapart le 24 mars 2014 :
http://www.mediapart.fr/journal/france/240314/recul-du-ps-surplace-de-lump-la-preuve-par-les-chiffres