Nawel Ben Aissa, une voix vive du Rif
par Omar Aziki , Nawel Ben Aissa
Le Maroc vit actuellement une vague de protestation sociale très large initiée par le mouvement de contestation populaire dans le Rif au nord du Maroc. L’État a répondu par une campagne de calomnie et la répression. Il a arrêté des dizaines d’activistes de ce mouvement et poursuit d’autres. Les sit-in de solidarité dans plusieurs villes sont dispersés par les forces de police. Mais ce climat de terreur renforce plutôt la détermination des citoyens et des citoyennes à combattre, exiger la libération des détenus et la satisfaction des revendications sociales. Des comités de solidarités se constituent un peu partout au Maroc.
Le cri de Nawel Ben Aissa, militante et nouvelle figure du mouvement de contestation avec d’autres, reflète bien cet état d’esprit fort et inébranlable contre la répression. Un mandat d’arrêt a été lancé contre elle par les services de sécurité qui le lui ont délivré à la maison de sa famille. Elle a décidé de se rendre. Elle s’est effectivement rendue à la police aujourd’hui (1 juin). Elle a été relâchée, sans être poursuivie. Voilà son message d’après une retranscription de sa vidéo en Amazigh.
La source de cette retranscription, faite par Par Dounia Benqassem, est sur le lien http://www.yennayri.com/news.
Mon nom est Nawel Ben Aissa.
Je suis mariée et je suis mère de quatre enfants.
Je suis née, j’ai grandi sur cette terre du Rif. Cette terre broyée par la corruption, la marginalisation et l’injustice.
J’ai participé à toutes les manifestations pacifiques, parce que je revendique mes droits, et les droits du Rif à la Santé, à l’éducation et au Travail.
J’aime cette terre généreuse et j’aime ses gens, rifains soient-ils ou pas. J’ai appris de mon père, homme modeste et démuni, à souhaiter le bien pour tous, à apporter mon aide à tous. Et ce sont là les meurs des Rifains.
Je revendique de simples droits totalement inexistants au Rif. Le Rif est broyé par le cancer. Ici, dans chaque famille vous rencontrer non pas un cas ; mais, des cas de cancer. C’est la conséquence de l’usage de gaz toxiques par l’occupant espagnol. Le Rif est décimé par le cancer et la marginalisation. Nous n’avons pas d’hôpitaux capables de soigner toutes ces variétés de cancers. Dans ma demeure, de sorte à les rapprocher des soins, j’ai hébergé de nombreuses victimes de ce fléau venues de lointaines montages. Des zones montagneuses enclavées, dépourvues de routes et tenues hors du monde par la pauvreté et le dénuement. Des femmes broyées par le cancer, la pauvreté, qui ne subsistent que par la charité qui leur est donnée par les bonnes âmes. Voilà la réalité du Rif, broyé dans tous les droits.
Je manifeste pour la justice. Je manifeste pour mes droits et ceux de mes enfants. Je manifeste pour que nous puissions avoir un hôpital à même de prendre en charge tous les malades. Je manifeste parce que j’ai vu les larmes d’impuissance des cancéreux laissés pour compte ici au Rif.
Je manifeste pour ces familles dont je sais qu’elles n’ont même une bouchée de pain, car ici, il n’y a ni travail, ni ateliers, ni usines.
Je manifeste parce que je veux le meilleur pour ma patrie. Le meilleur se construit avec des écoles et nous n’avons pas d’université ; alors nous écourtons prématurément nos parcours d’études.
Pour tout cela je manifeste. Je n’ai pas peur et je ne me cacherai pas, comme on me le demande. Ma protestation est pacifique et elle est de mon droit le plus absolu.
Je ne me cacherai pas, même si cela doit conduire à mon arrestation. Je te demande pardon ma mère adorée, pardon mon père adoré, mes très chers enfants, pardon à tous ceux qui m’aiment, pour la douleur que je risque de vous causer, mais je ne vais pas me terrer comme une souris.
Je manifeste pacifiquement pour une cause juste et si je venais à être arrêtée, comme c’est le sort de beaucoup, je sais que nous avons un Dieu qui sait ce qu’il y a dans les cœurs et qu’il ne nous abandonnera pas.
Je manifeste pour les rêves de tous les enfants du Rif, pour les mères du Rif qui espèrent le changement, rêves d’une vie digne comme ils ne cessent de le scander dans la rue.
Liberté ! Dignité ! Justice sociale !
Je vous aime mes enfants. Je manifeste pacifiquement pour les droits broyés du Rif et je persévérerai jusqu’à mon dernier souffle.
Je ne me cacherai [terrerai] pas.
Nawal Ben Aissa, figure montante de la contestation dans le Rif marocain
Depuis l’arrestation du leader du Hirak Nasser Zefzafi, la jeune femme de 36 ans est devenue le porte-voix des rassemblements nocturnes à Al-Hoceima
Cheveux lâchés, micro en main, la jeune femme harangue la foule de plusieurs milliers de personnes venues se rassembler pour le cinquième soir consécutif dans le quartier de Sidi Abed, à Al-Hoceima. « Je m’adresse à tous les Marocains : le Rif saigne ! L’Etat nous opprime. Tous les droits des Rifains sont bafoués, lance la militante sous les applaudissements. Mais nous allons continuer à lutter contre cette injustice. Ils peuvent arrêter autant de militants, de jeunes et de femmes qu’ils veulent, nous n’allons pas baisser les bras. » En bas de la rue, des dizaines de véhicules de police et de forces anti-émeutes barrent l’accès au centre-ville.
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Nawal Ben Aissa, 36 ans, est-elle le nouveau Nasser Zefzafi ? Trois jours après l’arrestation du charismatique leader du Hirak, le mouvement social qui secoue le Rif depuis sept mois, la jeune mère de famille – elle a quatre enfants âgés de 4 à 13 ans – semble en tout cas s’imposer comme la figure montante de la contestation. C’est elle qui tient désormais le rôle de porte-voix dans les manifestations qui se tiennent chaque soir après la rupture du jeûne du ramadan dans cette ville du nord du Maroc.
Mercredi 31 mai, la militante recevait la presse dans un café qui surplombe la baie d’Al-Hoceima en se prêtant volontiers aux questions des journalistes, encore un peu surprise de sa soudaine célébrité. « Je n’appartiens à aucun parti, aucune association ni syndicat », prévient-elle, l’une de ses filles à son côté. En jeans et nu-pieds, un tee-shirt à l’effigie d’Abdelkrim Al-Khattabi, figure historique de la résistance du Rif contre le colonisateur français, elle raconte être venue au mouvement (« hirak » en arabe) par son engagement en tant que bénévole auprès de femmes malades du cancer.
« Nous n’avons pas d’hôpital capable de soigner celles qui ont un cancer du sein. J’en ai rencontré qui ne pouvaient même pas se payer des analyses à 100 dirhams [9 euros] », explique-t-elle. A l’aide de petites vidéos publiées sur Facebook, elle s’efforce de mobiliser. « J’ai aidé à porter la voix des femmes, à obtenir de l’aide de nos concitoyens à l’extérieur », précise-t-elle, en référence à l’importante diaspora rifaine vivant notamment en Belgique.
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Après cette expérience, Nawal Ben Aissa s’est naturellement retrouvée dans le Hirak, un mouvement qui revendique davantage d’investissements de l’Etat dans la région : un hôpital, une université, des emplois. Elle le reconnaît : « Le Rif est une région conservatrice. » « Ce qui n’empêche pas les femmes de sortir et de revendiquer », ajoute-t-elle. Pour elle, hommes et femmes sont d’ailleurs confrontés aux mêmes difficultés : le chômage, le manque d’infrastructures, la hogra (« l’arbitraire »). Fille d’une famille de six enfants, elle explique avoir dû arrêter ses études car son père n’avait pas les moyens de l’envoyer à l’université. Son mari, chauffeur de taxi, ne fait pas partie du Hirak, mais « il est fier de moi », sourit-elle.
Si, aujourd’hui, les femmes sont nombreuses dans les rassemblements nocturnes, cela n’a pas toujours été le cas. « Elles ont vraiment pris leur place à partir du 8 mars [la Journée internationale des droits des femmes]. On a manifesté, pas pour célébrer cette journée, mais pour dénoncer notre situation », explique-t-elle. Leur présence est devenue massive à partir du 26 mai. « Après les arrestations de militants, les femmes n’avaient plus le choix. Elles devaient sortir dans la rue pour soutenir leur mari et leurs enfants. »
Quelques heures plus tard, Nawal Ben Aissa a à nouveau pris le chemin du quartier de Sidi Abed, pour une nouvelle manifestation et l’annonce d’une grève générale de trois jours. A-t-elle peur d’être arrêtée ? « Non, je n’ai pas peur. A tout moment, je peux être emprisonnée. Mais ce serait un honneur, car je défends des droits universels », martèle la militante, qui ajoute : « Ce sont mes parents qui ont peur pour moi, mais ils comprennent. J’ai parlé avec mon mari, mes enfants et ils sont conscients qu’ils ont droit à une vie décente. » Jeudi 1er juin au matin, la jeune femme a été convoquée au poste de police. Elle s’y est rendue, accompagnée de son mari, pour y être interrogée, avant d’en ressortir au bout d’une heure.
Maroc : contestation dans le Rif et grève générale à Al-Hoceïma, toujours mobilisé
http://www.france24.com/fr/201
Dernière modification : 02/06/2017
La grève générale a été largement suivie jeudi à Al-Hoceïma, dans le nord du Maroc, où les manifestations pour réclamer la libération du leader de la contestation locale se poursuivent à un rythme quotidien.
Un mot d'ordre de grève générale a été largement suivi jeudi 1er juin à Al-Hoceïma, dans le nord du Maroc. Comme à chaque nuit tombée depuis presque une semaine, les manifestants se sont rassemblés dans le quartier Sidi Abed, proche du centre-ville.
Ils étaient près de 2 000 à exiger la "libération des prisonniers", brandissant en tête de cortège une banderole avec le portrait du leader emprisonné de la contestation, Nasser Zefzafi. Le rassemblement s'est déroulé sans incident, pour s'achever peu avant minuit.
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En milieu d'après-midi, la quasi-totalité des magasins du centre-ville ont observé une grève générale, là aussi pour exiger la remise en liberté des activistes du "hirak" (la mouvance), nom donné à ce mouvement qui lutte pour le "développement" du Rif, région qu'il estime marginalisée.
L'annonce de la grève générale avait été lancée sur les réseaux sociaux par le numéro deux du "hirak", Najib Ahmajik, actuellement en fuite. "Aujourd'hui toute la population est en grève. C'est un message à notre roi Mohammed VI pour qu'il intervienne à Hoceïma", a lancé un gréviste. La grève a été très suivie dans les villes voisines d'Imzouren et Beni Bouyaach, selon un habitant joint au téléphone par l'AFP. Une importante manifestation a également eu lieu à Imzouren et ses environs, selon des images diffuses sur les réseaux sociaux. Des sit-in et rassemblements de "solidarité" ont été organisés ailleurs dans le royaume, dont plusieurs ont été dispersés violemment par la police, à Rabat, Casablanca et Meknès.
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Le Rif en effervescence
Selon un décompte officiel, la police a procédé depuis vendredi à une quarantaine d'arrestations, visant essentiellement le noyau dur du "hirak". Vingt-cinq des personnes arrêtées ont été déférées devant le parquet. Leur procès s'est ouvert mardi, mais a été reporté au 6 juin. Selon la presse marocaine, certains des suspects, qui avaient été transférés à Casablanca, ont pu recevoir jeudi la visite de leurs avocats, à l'exception de Zefzafi.
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Après un long mutisme, la classe politique est sortie de son silence. Les chefs des partis de la majorité ont appelé "le gouvernement à davantage d'interaction positive avec les revendications des habitants", selon l'agence de presse MAP (officielle). Le Premier ministre islamiste Saad-Eddine Al-Othmani, qui s'est entretenu du sujet avec le ministre de l'Intérieur, a assuré que la région "est au cœur des préoccupations du gouvernement".
Avec AFP