Tout faire pour que la Grèce de 2015 ne soit pas laissée seule comme l’a été la République Espagnole en 1936
MITRALIAS Yorgos, 25 mars 2015
Comme on pouvait le prévoir, « ceux d’en haut » qui dirigent l’UE mènent déjà une guerre sans merci contre le gouvernement Tsipras dont ils souhaitent la « neutralisation », sinon le renversement pur et simple ! La raison est évidente : un tel gouvernement anti-austérité doit disparaitre car il risque à tout moment de faire des émules de par l’Europe, ce qui mettrait en danger de mort la -fragile et de plus en plus contestée- domination des politiques néolibérales et de leurs inspirateurs presque partout sur notre vieux continent…
En effet, de jour en jour se multiplient les indices, sinon les preuves, d’un plan en cours de réalisation qui vise à rendre le nouveau gouvernement grec inopérant. Comment ? En le condamnant d’avance à l’échec. D’un cote, les « partenaires européens » font tout pour étrangler financièrement le gouvernement Tsipras mais aussi la Grèce toute entière. Comme le répète à satiété Mr. Schäuble (qui fait penser de plus en plus à un Dr. Folamour de nos jours), « pas un euro ne sera débloqué à la Grèce » tant que son gouvernement persiste à ne pas appliquer scrupuleusement les mesures imposées par le Mémorandum précédent ! Détail éloquent : Les électeurs grecs ont porté –triomphalement- Syriza au pouvoir parce que Tsipras et son parti ont promis de faire exactement le contraire de ce que leur demandent maintenant le ministre allemand et les autres « partenaires européens » : « Déchirer les Mémoranda » et ne plus suivre les politiques d’austérité…
De l’autre cote, et non moins grave, depuis des semaines est en cours une véritable campagne de déstabilisation systématique et méthodique visant à faire taire, voir a détruire, toute voix radicale de gauche au sein du gouvernement Tsipras. Evidemment, ce n’est pas un hasard si cette campagne d’une rare violence est menée conjointement en Grèce et au niveau européen, par des grands medias (quotidiens, chaines TV,…) secondés par l’ensemble des partis bourgeois grecs et les deux grands partis néolibéraux européens, le Parti Populaire et le parti Social-démocrate et la plupart de leurs composantes nationales.
Sans vouloir sous-estimer l’acharnement dont ont été ou continuent à être victimes la ministre suppléante aux Finances Nadia Valavani et surtout le ministre suppléant de la Reforme Administrative Georges Katrougalos, la principale bête noire de cette campagne est « évidemment » Zoé Konstantopoulou, la Présidente du Parlement grec qui émerge déjà comme une figure de proue de la gauche radicale grecque. Nous avons dit « évidemment » car il faut avouer que cette jeune femme non seulement ne mâche jamais ses mots quand il s’agit p.ex. de nommer les responsables des grands scandales de corruption, mais elle a aussi l’habitude de taper très fort en passant aux actes : En l’espace de 4-5 dernières semaines, elle vient de constituer : Une première commission d’enquête pour identifier qui et comment ont conduit les Grecs à la catastrophe de la Troika et des Memoranda. Une deuxième commission de revendication des réparations de guerre allemandes, de la restitution des antiquités volées par l’occupant nazi ainsi que le remboursement de l’emprunt obligatoire grec au Troisième Reich (grâce auquel a été financée, entre autres, la campagne du général Rommel en Afrique du Nord). Et surtout, une troisième commission d’audit de la dette publique grecque, coordonnée par le porte-parole du CADTM Eric Toussaint !
Une telle activité non seulement débordante mais aussi iconoclaste car inédite vue qu’elle vise le cœur du système, ne pouvait que soulever la colère des serviteurs de ce système (medias, partis bourgeois, alliés étrangers, institutions d’état,…) d’autant plus que la Présidente du Parlement complétait son profil de Robespierre radical et intraitable en faisant réunir pendant quelques heures à l’assemblée nationale les associations des immigrés sans papiers et des homosexuels ou en déclarant (à Nicosie et en présence des autorités chypriotes !) qu’elle allait prendre des initiatives pour résoudre la très épineuse question chypriote en prenant appui sur les actions des citoyens chypriotes grecs et…turcs ! Rien d’étonnant alors que la campagne de dénigrement contre Zoé Konstantopoulou bat son plein, allant même à la présenter comme « folle » et demandant expressément sa tète, c.à.d. sa destitution.
Par contre, ce qui est étonnant c’est qu’à cette campagne des grands medias et de la « caste » grecque (l’ensemble des chaines de TV et des partis d’opposition, y inclus le Parti Communiste) prennent aussi part des medias très proches au gouvernement et à Syriza ! L’explication n’est pas difficile et nous conduit directement au cœur de l’actuel puzzle grec : Des initiatives radicales et de classe comme celles prises par la Présidente du Parlement grec sont mal vues car elles empêchent de tourner en rond au moment où la majorité de Syriza et le gouvernement Tsipras persistent dans leur angélisme et continuent à prêcher (pourtant dans le désert) en faveur des accords et des solutions « mutuellement bénéfiques » même quand les « partenaires européens » ne cachent plus leur intention de faire taire la « cacophonie grecque » !
Heureusement, il y a d’abord la société grecque qui, malgré toutes les difficultés et même les « hésitations » du gouvernement, lui apporte toujours un appui qu’on pourrait qualifier de phénoménal : Selon tous les sondages, plus de 65%-70% des Grecs soutiennent la gestion du nouveau gouvernement et plus de 75% appuient le premier ministre Alexis Tsipras ! Et fait encore plus éloquent, au moins 41% (selon d’autres sondages, 45% ou même 48%) des Grecs voteraient demain en faveur de Syriza quand ils ne seraient que 18%-21% qui préféreraient la droite de Nouvelle Démocratie, et moins de 3% la social-démocratie du PASOK ! Cependant, attention : la société grecque est depuis 4-5 ans un vrai clone de celle de Weimar (1) et la situation est telle que même les dirigeants de Syriza et du gouvernement, en commençant par Alexis Tsipras lui-même, ne cachent pas que cet état de grâce pourrait fondre en un temps record. Et très probablement en faveur non pas des partis (N.D-Pasok) que l’immense majorité de la population vient d’abandonner, mais en faveur de la toujours présente et bien enracinée Aube Dorée néo-nazie.
Si on peut être optimistes pour la suite des événements, ou plutôt moins pessimistes vue la toujours grandissante menace d’extrême droite et fasciste qui plane au-dessus de l’Europe, on le doit à des initiatives tels que la création de la commission d’audit de la dette grecque prise par des dirigeants de la gauche radicale tels que Zoe Konstantopoulou. Cette initiative qui jouit de l’appui de la grande majorité de la population, pourrait et devrait servir de point de ralliement de tous ceux et celles en Europe qui rejettent l’austérité, veulent se libérer du fardeau de la dette et sont prêts à résister à la véritable guerre menée par les nantis contre l’immense majorité des citoyens européens. C’est d’ailleurs parce que la dette se trouve à la racine de tous nos problèmes et parce que son audit citoyen possède une dynamique pouvant aller très loin dans la contestation de ce système économique barbare, que la création de la commission d’audit de la dette grecque voit déjà se coaliser contre elle, tant en Grèce qu’en Europe, tout le gotha de cette Sainte-Alliance de plus en plus autoritaire et antidémocratique qui nous gouverne.
Encore une fois, ceux d’en haut voient juste et se préparent à défendre leurs intérêts de classe par tous les moyens. C’est donc à nous, aux millions de ceux d’en bas de par l’Europe de faire de même, en nous coalisant à notre tour pour défendre cette Grèce qui saigne mais qui résiste contre vents et marées. En somme, tout faire pour ne pas répéter les tragiques expériences du passé : la Grèce de 2015 ne doit pas être laissée seule face à ses bourreaux, comme l’a été la République Espagnole en 1936 face au fascisme triomphant…
Yorgos Mitralias, Athènes, 25-03-2015
(1) La société grecque de ces 4-5 derniers ans, comme d’ailleurs la République de Weimar allemande de l’entre deux-guerres, se caractérise par l’effondrement des classes moyennes et surtout par un mouvement de pendule d’un extrême politique à l’autre des pans entiers de la population à la recherche des solutions radicales à ses très graves problèmes. Voir aussi : http://cadtm.org/Soixante-sept-ans-apres-la-fin-de