Diego Rivera et Frida Kahlo artistes révolutionnaires
Michael Löwy
Diego Rivera (1886-1957) et Frida Kahlo (1907-1954) étaient des artistes révolutionnaires, c'est-à-dire des individus profondément engagés dans les combats politiques de leur époque, un engagement qui se traduit directement dans - une grande partie de - l'œuvre murale du premier, mais beaucoup moins dans ses peintures de chevalet. L'œuvre de Frida Kahlo est quant à elle authentiquement subversive, mais cela ne s'exprime pas, sauf pour la toute dernière période de sa vie, en des termes politiques traditionnels. Elle ne contient pas moins une sorte de protestation féministe contre la condition des femmes dans les sociétés patriarcales modernes. Ses tableaux sont personnels, autobiographiques, intimes, mais si l'on considère, l'instar du mot d'ordre fémi-niste, que «le personnel est politique», sans doute l'art de Kahlo traduit-il le désir d'affirmation des femmes : elle rompt de manière provocatrice avec l'imagerie traditionnelle de la féminité, en représentant l'accouchement, l'avortement, le fœtus, et d'une façon générale l'expérience féminine de la souffrance corporelle. Aucun des deux n'a participé à la Révolution mexicaine : Frida, née en 1907, était trop jeune, et Diego était alors en Europe. Elle ne constitue pas moins l'arrière-plan de leur engagement. On présente parfois l'histoire de cette révolution comme une succession de meurtres et d'assassinats : un soulèvement populaire renverse le dictateur Porftrio Diaz en 1911; le démo-crate Francisco Madero assume la prési-dence, mais il est assassiné par le général Victoriano Huerta en 1913. Contre la dictature de ce dernier se soulèvent Emi- liano Zapata dans le Sud et Pancho Villa dans le Nord, ainsi que l'armée constitu-tionnaliste de Venustiano Carranza et d'Âlvaro Obregôn. Ils renversent Huerta, mais bientôt la guerre civile éclate entre Zapata et Villa d'une part, Carranza et Obregôn de l'autre. Carranza fait assassiner Zapata en 1919, puis est tué par Obre- gôn en 1920. Retiré dans sa ferme, Villa est assassiné en 1923 par les hommes d'Obregôn, qui est tué à son tour en 1928, par un catholique fanatique. Cette chronique sanglante n'est pas fausse, mais il manque l'essentiel : première révolution sociale du xxe siècle, la Révolution mexicaine a profondément bouleversé les structures économique, sociale, politique et culturelle du pays. Cette «révolution interrompue» - selon l'expression de l'historien Adolfo Gilly - atteint son apogée quand les forces les plus radicales, celles de Zapata et de Villa, occupent pour quelques mois, en 1914-1915, la capitale du pays. Cette aile paysanne et populaire de la Révolution sera vaincue, mais ses adversaires devront promulguer en 1917 une Constitution qui compte parmi les plus avancées de l'époque : réforme agraire, lois de protection sociale, droit de grève, contrôle du commerce extérieur, séparation de l'Église et de l'État. À partir de ce moment, la Révolution «s'institutionnalise», et connaîtra une sorte de prolongement sous la présidence de Lazaro Cardenas (1934-1940), qui nationalisera le pétrole, approfondira la réforme agraire et établira l'éducation socialiste.